Si le mot Dōjō est rentré dans le langage courant, il y a encore quelques personnes qui ne savent pas ce que c’est. Et parmi les pratiquants même si la plupart savent que l’on parle alors du lieu où s’entraînent les élèves d’une école de Karate-Dō, Judō, Aïkidō, etc. pas beaucoup, hélas, ne sauront le faire avec autant de précision que Monsieur Pierre Delorme, Kendoka de la première heure. Laissons-le-nous expliquer la définition exacte des idéogrammes composant le mot Dōjō, en reprenant ses explications parues dans son livre « DOJO, le temple du sabre » aux éditions de l’éveil :
« Dō (道) : la Voie. Jō (場) : le lieu. Dōjō (道 場): le lieu où l’on étudie la Voie.
Dō s’écrit avec une empreinte de pied sur laquelle se superpose un homme en marche. L’ensemble devient le symbole du cheminement dynamique. A côté, la graphie exprime une tête surmontée d’une chevelure hirsute: c’est celle des statues menaçantes des Myo-O, les roi-gardiens qui surveillent dans les vieux temples les cinq points cardinaux: le Nord, le Sud, l’Est, l’Ouest et le Centre. Une tête en mouvement, c’est le chemin spirituel, c’est le principe, c’est la loi.
Jō se compose de plusieurs graphies différentes mélangées. La première à gauche, quand elle est isolée, c’est ba, l’endroit, le terrain. Puis à sa droite en haut, c’est hi, le soleil. En dessous, un trait horizontal, c’est ichi, le chiffre un. Enfin en dessous, est tracé le signe ken, le katana, le sabre, auquel se mélangent deux signes en forme d’apostrophe qui sont l’abréviation de kokoro, le cœur, l’esprit, l’âme.
Le Dōjō n’est donc pas un lieu quelconque, mais un lieu sacralisé par le soleil dont l’orientation est fonction de la direction où se lève l’astre du jour (mur d’honneur à l’Est), pour y étudier l’entraînement au sabre afin de faire l’unité du corps et de l’esprit par le cœur, centre d’énergie de la véritable communication, du ressenti, de la compréhension authentique… »
La place d’honneur, c’est le Kamiza, l’endroit où se trouve les portraits des anciens maitres, du fondateur, des calligraphies, un autel comportant les offrandes aux Kami (divinités shintoïstes). C’est donc là que se tient le Sensei du Dōjō. Le Kamiza, comme indiqué plus haut par Pierre Delorme peut se trouver à l’Est, mais il est, semble t-il, plus traditionnellement orienté au Nord. Et c’est, orienté ainsi, que la place des membres du Dōjō prend tout son sens.
Dos au Kamiza et face au sud, le Sensei se trouve être « baigné » par la lumière de la connaissance. Mais, il n’est pas la lumière. Il n’est qu’un intermédiaire par lequel passe cette lumière pour atteindre les élèves qui se trouvent face à lui et dos au Shimoza. Pour cette raison, il devra être assez avancé pour ne pas la « polluer ». Et seul, un homme ou une femme, avec assez d’humilité, débarrassé de son égo peut transmettre sincèrement et de façon véritable un enseignement profond. Rappelons que l’objectif ultime de la pratique d’un art martial (Dō) est justement de se débarrasser de toutes ces fausses personnalités dont nous nous parons dans une vie. A l’image d’un oignon dont on enlève les peaux les unes après les autres afin d’atteindre le cœur, le but est pour nous, hommes (et femmes) perfectibles de se transformer en Être vrai et libre. Être qui se trouve à l’opposé total de ce que nous sommes lorsque c’est notre égo qui nous gouverne.
Revenons aux élèves qui ne peuvent donc pas voir cette lumière directement. Il n’ont pas encore la faculté de la comprendre tout seul. Dos à celle-ci, ils ont besoin qu’on leur décrypte cette connaissance et qu’on les amène doucement à l’assimiler. Après une journée d’étude, le soleil se couchant à l’Ouest, les élèves débutants en ont un petit aperçu. Quand aux élèves plus gradés, ils se trouvent du côté du soleil levant, ce qui symbolise le fait qu’ils commencent à avoir une compréhension directe de la discipline enseignée. Ils commencent à ne plus avoir besoin de passer par le Sensei.
Et enfin, pour des raisons plus pragmatiques, l’entrée du Dōjō se trouve toujours face au Sensei, de façon à ce qu’il puisse voir qu’elles sont personnes qui y entrent. Ancien reflexe des temps où l’enseignement était tenu secret.
Aujourd’hui, il se peut que le Dōjō auquel vous vous rendez ne ressemble que de loin à celui décrit ci-dessus. Il n’est pas toujours évident d’avoir un Dojo orienté (dans les deux sens du terme) correctement. Mais cela ne doit pas vous empêcher d’étudier, jusqu’à aller au bout de cet enseignement. Un jour, votre Sensei vous fera comprendre qu’il ne peut plus rien vous apporter et qu’il vous faut, maintenant, vous mettre en quête d’un autre, plus avancé que lui.
Vous le voyez, nous sommes loin d’une simple salle de sports, ou d’entraînement. C’est plutôt à un temple qu’il faudrait le comparer. C’est d’ailleurs en ces termes que le fils du fondateur du Karate-Dō Wadō ryū, Hironori Otsuka, le nomme dans un texte qu’il a écrit et qu’il a intitulé, « Les règles d’or du Dōjō » :
- Le Dōjō est le lieu où souffle « l’esprit de la Voie ». Il est un lieu de recherche spirituelle aussi bien que d’entraînement technique. Il y a Dōjō n’importe où, n’importe quand, à condition que ce soit le lieu de réunion de vrais Budōkas.
- Le Dōjō est un temple du silence. Il faut y rester calme, parler le moins possible, pour se consacrer à la recherche intérieure.
- On salue quand on y pénètre et lorsqu’on le quitte, debout, discrètement, en direction de la place d’honneur, du maître des lieux ou même lorsque le Dōjō est vide.
- Lorsque l’on arrive en retard, on salue en direction du professeur (Sensei) et on patiente jusqu’à ce que, vous ayant remarqué, celui-ci vous fasse signe de rejoindre le groupe.
- On ne quitte jamais le Dōjō avant la fin d’un cours.
- Il faut s’efforcer, en toutes circonstances, d’aider ses partenaires et n’être jamais pour eux une cause de gêne ou désagrément.
- Les débutants (kohai) doivent respecter les anciens (sempai) du Dōjō et accepter leurs conseils sans discuter.
- Les anciens doivent sincèrement aider à la progression des moins avancés.
- Il faut toujours garder une tenue et une attitude correctes, ne jamais se permettre des attitudes négligées, même lorsqu’on est fatigué.
- Quand vous pénétrez dans un Dōjō, abandonnez toute préoccupation du « je » pour ne plus vous consacrer qu’à la recherche du « soi », en toute sérénité et humilité.
- Le Dōjō n’est pas un lieu fermé où tout change par rapport à la vie quotidienne. L’esprit du Dōjō doit envahir toute votre vie. Et il faut finir par ne plus distinguer ce que sont vos actes, attitudes et pensées dans le cadre du Dōjō de ce qu’ils sont à l’extérieur… tel est l’esprit du Budō.
Maître Hironori Otsuka, fils du fondateur du Karate-Dō Wadō Ryū